Lost in translation

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Au États-Unis, l’hôpital privé prend les patients qui ont une assurance santé, ou qui pourront payer des sommes importantes. Ce n’est pas le tout venant. Le tout venant n’ira pas là.  Donc le médecin hospitalier américain, très bien payé, a aussi des patients « pré-sélectionnés ». Clairement, c’est un rêve pour certains soignants et apprentis soignants hospitaliers français, d’après ce que j’observe. A la fois d’être très bien payés (ce qui peut se comprendre), et de ne pas avoir à soigner des étrangers ou des pauvres. Et ils leur font bien sentir parfois.

Cela commence avec la barrière de la langue.

Quand Mme M., enceinte de 8 mois, est arrivée aux urgences obstétricales, elle a eu affaire à un accueil assez froid.

« Je peux aller voir cette patiente? je demande à la sage femme

-Vas-y si tu veux mais tu vas voir elle parle pas un mot de français. Elle est arrivée de Tunisie hier apparemment, dit-elle d’un ton las.

-Ah mince elle parle quoi?

-Je sais pas, arabe je pense, répond-t-elle visiblement énervée.

-Ah ça me donne envie d’apprendre l’arabe tous ces patients avec qui on n’arrive pas à communiquer et qui parlent arabe.

-Oh hé c’est bon, c’est peut-être plutôt à eux d’apprendre le français hein! » s’agace t’elle.

Oui les Français pensent que tout le monde devrait parler français alors qu’eux parlent rarement une langue étrangère, un grand classique. En tous cas Mme M., pendant ses 48h en France, n’avait pas appris le français. Elle avait des contractions douloureuses et elle avait besoin d’un peu de soutien.

Heureusement pour elle, il y avait une aide soignante qui parlait arabe quelques étages au dessus et qui a bien voulu descendre à 2 heures du matin, pour jouer les interprètes. Au final, elle est restée deux heures en salle d’accouchement à tout lui traduire. Je ne sais pas si elle est au courant du tarif d’un interprète disponible au pied levé (plutôt dans les 80 euros de l’heure, un peu plus qu’un aide soignant je crois), en tous cas elle a fait ça bénévolement. Comme d’habitude à l’hôpital on compte sur « les bonnes volontés » et autres âmes charitables qui veulent bien donner de leur corps.

Mais souvent on se retrouve avec des personnes réfugiées qui parlent des langues que personne ne parle dans aucun étage de l’hôpital. Comme par exemple, le macédonien, le serbe, le croate. Et alors là j’avoue que la technologie fait des merveilles: je dégaine mon smartphone sur « Google translate » et c’est parti pour de la traduction en macédonien à tour de bras. En pratique, ça ne marche pas toujours très bien… Le patient me regarde parfois en fronçant des sourcils quand je lui montre ma belle phrase en macédonien, ou vice versa, j’essaye de comprendre ce que « prends sur vitesse » peut signifier comme réponse à ma question « où avez vous mal? ». Mais au moins, il y a de l’effort, et ce petit effort fait partie du job de « soigner » de mon point de vue.

macedonien
Message que j’ai montré à la patiente quelques minutes avant sa césarienne en urgence

Le lendemain j’assistais à une césarienne, d’une dame qui ne parlait qu’arabe. Eh bien comme elle ne comprenait pas le français, tout le personnel de la salle (ou presque) se sentait tranquille pour discuter à haute voix. Ce que l’on n’aurait pas fait si cette dame comprenait le français. Donc on lui a sorti son bébé dans une atmosphère un peu « bar PMU » où chacun racontait ses vacances ou sa dernière recette de cuisine… Intolérable.

On peut lire ici un article de Libé sur le manque d’interprètes à l’hôpital, et ici le témoignage d’une infirmière de bloc à ce sujet.

 

 

 

 

 

Un commentaire

  1. En fait, je n’ai pas de mots devant ce que vous racontez… et pourtant j’ai travaillé en milieu hospitalier mais il y a plus de 10 ans. Les choses se sont sérieusement dégradées… merci de narrer ces histoires, ces témoignages devraient être envoyés aux élus, au gouvernement.

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