La science vraie des scores diagnostiques médicaux

Le bon étudiant en médecine, au taquet pour son concours pour être bien classé, et avoir la MEILLEURE spécialité, pour finir enfin dans ce bureau avec la grande baie vitrée face à la mer où l’on peut facturer des dépassements de deux cents euros, enfin BREF, cet étudiant, il connaît très bien les scores diagnostiques médicaux. Surtout qu’ils sont très pratiques pour poser des questions sous forme de QCM.

Vu de loin, les scores diagnostiques médicaux, c’est un peu la médecine pour les nuls.

Vous ne savez pas trop ce que le patient a, mais vous arrivez à vous orientez un peu quand même: s’il a l’air déprimé on pourrait lui passer le questionnaire de dépression (en plus ça se cote en supplément!), s’il dort mal on pourrait lui proposer le questionnaire apnée du sommeil… s’il se plaint de sa prostate, ben tiens, on peut lui donner le questionnaire prostate.

Bien sûr, seul vous, LE MEDECIN, êtes en capacité d’analyser avec vos pupilles acérées les résultats e ce questionnaire. Ce n’est pas donné à tout le monde, voyez-vous.

La personne coche des cases et chaque case donne des points et à la fin du questionnaire, vous avez une échelle qui vous donne le résultat en fonction des points (que seul VOUS, LE MEDECIN pouvez analyser scientifiquement). On pourrait faire le parallèle avec les psychotests de Télé 7 jeux, mais ce serait assez insultant alors ne commencez pas s’il vous plaît. (c’est pour ça qu’on met des numéros et pas des petits coeurs et des triangles) (enfin bref)

Grâce à ces tests et ces scores, la médecine est beaucoup plus pointue, beaucoup plus scientifique, on peut même l’algorithmiser voyez-vous.

En effet vous pouvez créer une page web et programmer le test en HTML et SQL, les résultats du score apparaissent alors directement sans même faire le calcul de tête! C’est ce que l’on appelle l’Intelligence Articficielle de la E-santé (je sais, ça vous dépasse un peu). Vous pouvez alors demander un financement ARS « innovation en e-santé » donc c’est quand même intéressant.

L’autre jour, j’ai voulu adresser un patient à un urologue pour des symptômes invalidants en rapport avec sa prostate. Mais impossible de prendre le rendez-vous car j’avais oublié de lui faire remplir le questionnaire prostate. Je me suis donc exécuté, et lorsque j’avais enfin un score avec un numéro écrit avec des chiffres (des vrais chiffres comme en mathématiques), il a bien voulu lui donner un rendez-vous. Voyez comme ça sert, c’est la science.

Autre gros avantage des tests à scores, c’est que, pour peu que vous soyez un peu large (« avez-vous parfois du mal à vous réveiller le matin? », « est-ce que votre patron vous gonfle de temps en temps? », « avez-vous pris du poids à noël? ») vous allez pouvoir diagnostiquer tout un tas de gens. Et ça, les industriels l’ont bien compris, puisque l’obtention d’un score élevé se conclura généralement par une prescription médicamenteuse, un appareillage ou une intervention chirurgicale.

L’idée de tenter d’objectiver des constatations médicales floues (« il a l’air d’être embêté par ça ») par des scores précis (maladie de grade 3), qui peuvent être reproduits et comparés, part d’une bonne idée, et, pour certains pathologies, est bien utile (si l’on est capable d’avoir un minimum d’esprit critique sur les seuils). Par exemple, il est clairement plus simple de parler au téléphone d’un « ulcère de stade 3 » que de le décrire en détail. Mais si l’on s’intéresse aux questionnaires qui ont pour but de diagnostiquer une pathologie essentiellement définie par ce même questionnaire, c’est autre chose.

Une chose qu’aime regarder l’étudiant en médecine pour réviser ses scores pour son concours, ce sont les recommandations des sociétés savantes. Elles sont à jour, disponibles en ligne, spécialisées… Impeccable. Bon, c’est vrai que ces sociétés savantes sont généralement arrosées par les laboratoire pharmaceutiques mais tout de même, elles font référence!

Une pathologie intéressante dépistée par questionnaire est le « syndrome d’apnées du sommeil » (SAOS). Vous dormez mal? Et si c’était… l’apnée du sommeil? Mieux vaut vous dépister avant de finir avec un INFARCTUS!! (insérer émoticone Le Cri de Munch)

En dix ans, le nombre de personnes traitées pour SAOS par appareillage a triplé en France. On vous loue un appareil de respiration à porter la nuit, tout est remboursé par la sécurité sociale. Il existe toute une nuée de prestataires privés qui s’en occupent. Philipps vous propose même de vous dépister par questionnaire directement sur son site web! C’est beau l’esprit de santé publique de cette entreprise… (même si la sécurité des appareils n’est pas vraiment prioritaire visiblement). Les explorations du SAOS se font par « polysomnographie » où l’on observe votre sommeil avec des électrodes dans des centres spécialisés. Cette exploration (assez chère) n’est indiquée QUE si vous ronflez et êtes un peu endormi la journée…. Bref, on va vite vous y envoyer si vous dormez mal. Le traitement par appareil de ventilation n’est pas toujours bien supporté, et pas toujours porté (mais le prestataire empoche malgré tout les sous de la sécu pendant ce temps donc on s’en fiche un peu). Une étude contrôlée randomisée parue dans le Lancet en 2019 ne retrouvait pas de différences d’événements cardiovasculaire chez les patients avec SAOS appareillés comparativement à ceux avec SAOS non appareillés. Bref, une nouvelle définition de pathologie qui vient avec son questionnaire, qui crée un marché industriel riche, mais dont l’évaluation n’est pas encore claire… En tous cas l’étudiant en médecine devra connaître ce questionnaire par coeur pour passer son concours et savoir conclure « appareiller » dès que le score obtenu dépassera le nombre-seuil qu’il connaît par coeur (bravo à lui!). Si le « SAOS » recouvre de vrais symptômes invalidants, la réponse automatisée et industrialisée n’est pas forcément la plus pertinente.

Un autre exemple est le test MNA(copyright) qui étudie le niveau de dénutrition d’un patient avec son poids, sa taille, quelques mesures et deux trois questions sur ce qu’il mange. Oui oui, il bel et bien est copyrighté! Car il a été conjointement développé par Nestlé. Ce qui tombe drôlement bien puisque Nestlé propose justement des compléments alimentaires assez chers (sortes de yaourts de luxe) pour les patients dénutris hospitalisés, qui seront dépistés grâce à ce test.

Ces réflexions me sont venues alors je scrollais machinalement twitter et que je suis tombée sur le « bingo TDAH » où des personnes ont moqué les questionnaires médicaux de dépistage du TDAH en en retranscrivant sous forme d’un bingo à cocher. Les pathologies mentales sont celles où les problématiques que l’ont peut avoir sur les scores de questionnaires diagnostic sont les plus importantes. Les personnes concernées (diagnostiquées ou non) revendiquaient de pouvoir elles-même cocher des cases sans l’aide d’un médecin, au grand dam des psychiatres qui leur renvoient qu’il s’agit alors d’un dangereux « auto-diagnostic »… Les polémiques sur les scores diagnostic de maladie mentales poussés par l’industrie pharmaceutique ne datent pas d’hier, en particulier sur les catégories du DSM.

« Ce modèle classificatoire s’est également fondé sur une convergence d’intérêts entre l’industrie pharmaceutique et le système assurantiel nord-américain. Le morcellement des troubles permet qu’une seule personne soit atteinte de plusieurs d’entre eux et augmente d’autant le nombre de médicaments prescrits. De nouvelles molécules et/ou de nouvelles indications apparaissent pour de nouveaux troubles. Pour augmenter le nombre de personnes à traiter, il suffira d’abaisser les seuils de ce qui est considéré comme pathologique. Dans la dernière version du DSM, une tristesse qui persiste pendant plus de quinze jours (deux mois dans l’ancienne version) après le décès d’un proche sera considérée comme un deuil pathologique susceptible d’indiquer un traitement par antidépresseur. »

Mathieu Bellahsen, Contretemps, fév 2019

Pour conclure, en mettant au coeur de la formation et de l’évaluation des étudiants en médecine l’apprentissage par coeur des questionnaires à scores diagnostiques qui se prêtent particulièrement bien aux QCM, d’abord on fait preuve d’une grande flemme dans la conception des examens, ensuite on invisibilise l’influence industrielle qu’ils peuvent recouvrir et on entérine le réflexe de prescription des nouveaux médecins formés.

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