Germaine, 21564ème victime du virus

Compter les morts. Tous les soirs de cette fin de mois de mars, on attend avec anxiété que tombe le nombre de morts du covid « du jour ». Trois cents hier en Italie. En 24 heures! C’est l’horreur. Et chaque jour, plus de morts. Cela ne fait qu’augmenter. Jusqu’où cela va-t-il aller? Puis c’est en France que les chiffres flambent. Deux cents morts en une seule journée. Puis trois cents. Quatre cents! Nous sommes désespérés avec raison devant ces nombres lugubres. Puis vient la fin avril et l’on commence à évoquer une sortie du confinement. Plutôt comme-ci, pas trop comme ça, ou bien… Attendez, si en fait. Tous les soirs, on attend les nouvelles « du jour »: jusqu’où pourra-t-on marcher? 27 ou 28km? Pourra-t-on manger des sushis? Est-ce que les écoles ouvriront? Dans le fond sonore, parfois, persiste le décompte, pas toujours. Trois cents morts aujourd’hui. Bon, comme hier quoi. On s’habitue, on n’en parle plus vraiment. L’attention se porte déjà ailleurs. Le journal télévisé a cessé de braquer ses projecteurs sur les tuyaux angoissants des services de réanimation pour les tourner vers les commerçants et leurs problèmes de « reprise d’activité ». Alors voilà, maintenant c’est de cela que l’on parle. Les Français vont-ils racheter des téléviseurs? Les nouveaux de héros de demain sont attendu au rayon électroménager. Applaudissements tous les soirs à 20h si vous changez de réfrigérateur.

Je me réveille dans la chambre de garde ce matin-là et, en en sortant, je me retrouve quasiment à l’intérieur de ce corbillard ouvert devant moi, face à un cercueil. Des gens en noir tout autour, masqués. Moi, mal réveillée, essayant tant bien que mal d’être discrète et de m’éclipser, la blouse blanche de la veille roulée en boule sous mon bras. Je me dis: « encore une victime du covid, sans doute ».

Ou pas.

Aussi terrifiante et dévastatrice qu’est l’épidémie du covid, on continue bien sûr de mourir d’autre chose. Il ne s’agit pas de comparer les morts mais plutôt de se dire que certains morts passent dans le même temps sans faire beaucoup de vagues, et sans qu’on se pose autant de question sur ce que l’on aurait pu faire pour les éviter. On peut essayer d’imaginer si, chaque soir de l’année, au journal télévisé, on donnait le compteur du nombre de personnes qui sont mortes car elles vivaient dans la rue, ou car elles n’avaient pas de visa et se sont noyées sur leur radeau, ou mortes sur leur chantier en faisant simplement leur travail, ou encore mortes de ne pas avoir eu accès aux soins car c’était trop cher et qu’elles n’avaient pas de papiers en règle.

Dans le traitement médiatique de cette épidémie, c’est la technologie (voire la mécanique) qui apparaissait comme la sauveuse. Il faut des machines, des respirateurs, des ECMO, il faut des médicaments, des vaccins. Il faut vite faire de la recherche, plus vite, pour trouver la clé technologique qui va résoudre ce problèmes et arrêter l’hécatombe. Même si des produits très simples comme des masques ou du gel hydroalcoolique, s’ils avaient été distribués en masse, auraient sûrement évité de nombreuses victimes à eux seuls.

On a l’impression que s’il existait une solution simple pour éviter ces morts, on signerait tout de suite et on sauverait des vies à tire-larigot. On ne laisserait pas des gens mourir « pour rien » si l’on avait cette solution, ha non. Et pourtant c’est ce que l’on fait lorsque l’on laisse les gens mourir de pauvreté. Sans aller jusqu’à parler de mourir dans la rue, on meurt beaucoup de maladies que l’on aurait pu éviter, des maladies qui sont liées au milieu socio-économique dans lequel on vit. Combien de morts pourrait-on éviter si tout le monde avait suffisamment de temps libre pour faire de l’activité physique, et de l’espace accessible et gratuit pour en faire? Combien de morts évitables si l’on pratiquait davantage la réduction des risques que la répression dans la prise en soin des toxicomanies? Il y a de très nombreux exemples, et pourtant ces problèmes de santé publique restent très discrets.

Le fracas provoqué par une pandémie brutale et subite met en avant certaines choses: manque de masques, manque de lits. Mais derrière ces problèmes de moyens, il y en a d’autres, moins concrets au premier abord, mais tout aussi politiques et essentiels.

A lire à ce sujet:

Il faut révolutionner la santé publique en France , blog Mediapart de  Valéry Ridde, Directeur de recherche en santé publique, systèmes de santé et évaluation Dakar – Sénégal

A l’origine de la Santé Publique, les épidémies, France culture, avril 2020

L’impact des inégalités sociales sur la santé cardiovasculaire et la longévité, Observatoire de la prévention, Montréal

Un commentaire

  1. Très bon article, au titre optimiste (si encore ils avaient un prénom…). J’entendais que les interventions pour problèmes psy se multipliaient : patients qui ont abandonné leur thérapie, victimes collatérales du confinement en solitaire… Je serais curieuse de connaitre les stats des suicides depuis le début de la crise. Et les répercussions ultérieures des addictions qui se sont développées (la moitié des Français auraient augmenté leur consommation d’alcool)… Peut-être n’est-ce pas le virus lui-même qui tuera le plus, comme le dit si bien votre article.

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